Les bêtes remontent lentement le chemin et tu marches derrière elles, attentive aux croupes qui se touchent, se frottent, parfois s’arrêtent sur le bas-côté. Tu guettes les panses ballonnées, les pieds fourbus ou boiteux ; tu marches dans les souffles chauds. Quelque chose a torréfié dans l’air toute la journée, tout est plus sec qu’au matin : les fleurs sur leurs tiges, les feuilles des graminées, la terre au bord du chemin. Tu n’as pas vu la sécheresse tomber, trop occupée au troupeau. Tu avances à son rythme sur la craie du chemin. Vous rentrez. La journée a été longue, la nuque est lourde, tu pousses du bout des doigts tes cheveux humides dans le revers de ta casquette, les creux de tes coudes brillent et te piquent légèrement, ta lèvre supérieure a un goût de sel ; tu traverses les restes de l’après-midi le corps sonné de soleil. Tu penses que la nuit viendra avec ses soulagements. Sur la terrasse à côté de la cabane, tu mangeras un lait caillé arrosé de café froid ; la nuit étalera son encre au-dessus des arbres, sur le pelage de la chienne, viendra redessiner tous les sommets. Tu reprendras un souffle frais quand tout sera noir. Tu penseras que la nuit est l’immense pupille d’un animal fasciné par les frémissements à la surface de la terre. Tu retarderas le couché pour profiter des fraîcheurs de la soirée et des papillons de nuit agglutinés sur le verre épais au-dessus de la porte. Tu sais tout cela. Pour l’heure, vous rentrez. Dans ce cortège quelque chose s’énonce : les bêtes te laissent marcher à l’arrière ; elles acceptent de ne pas te voir et de te sentir sur leurs talons. Les oreilles s’agitent, chassent les mouches, ça respire fort et fait un bruit sourd de corne qui s’élime sur les cailloux du chemin, vous avancez ensemble et tu veilles. Le retour du pacage est un lent dialogue sans mot. Tu laisses la chienne fermer la procession. Elle trottine légèrement quelques mètres en arrière. Les unes derrière les autres, vous rentrez comme un seul corps dans la chaleur moite de la fin de journée. Tu pourrais penser que tu te trouves là comme une bête de plus.