La nuit n’a pas disparu, elle s’éternise, s’étire de tout son long, fait durer. Dans son lent mouvement de retrait, elle drape les choses d’un bleu coupé avec du lait. Tu viens de sortir de la maison et restes un moment immobile dans le froid : tes yeux s’acclimatent à cette luminosité de petit matin. Tu es seule. Tu crois l’être. Cela dure quelques instants puis l’espace se remplit ; quelque chose déborde depuis le ventre de la stabulation, en contre-bas de la maison. Le silence est traversé d’un râle épais et profond. Comme une eau qui déborde, le son rauque fait céder les remparts, le monde qui était tenu à l’abri des regards, derrière les murs, apparaît. Une vache. Aucun doute. Tu devines sa profonde inspiration ventrale, ses côtes qui se soulèvent, l’encolure qui se tend et les mâchoires qui s’écartent pour laisser passer ce son de caverne qui chasse la nuit. Ne pas la laisser seule. Tu cours en direction du bâtiment. Tu cherches l’entrée. Tu dois en faire le tour avant de trouver cette lourde porte de tôle entrouverte : à peine l’espace d’un corps et, depuis cette faille, un jaune d’or qui irradie. T’y glisser. Pied droit, bras puis épaule du même côté, tu parviens à passer la moitié de ton corps à l’intérieur, ta tête reste un bref instant au dehors, puis entre. Le soleil des lampes halogènes recouvre tout : il fait jaune. Et il fait chaud. Immédiatement. Le sol est recouvert de paille. Il y a une odeur tiède de végétal légèrement torréfié puis, cela se dissipe. Ou, non, plutôt l’odeur se mêle à d’autres : il y a des souffles mélangés, des peaux, des poils et de la crasse, des relents d’ammoniaque et d’urine, de la poussière aussi. Des odeurs d’étables. Elle est dans la case. Debout sur ces quatre pattes, elle ne bouge pas, semble reprendre son souffle. Le silence est revenu. Elle remue la queue. Un instant, tu as l’impression qu’elle en a deux. Tu crois rêver. Tu t’approches en fixant cette longue chose gluante qui n’en finit pas de tomber de son sexe. Un filet irisé, teinté de sang. La vache a mis bas. Elle lèche son petit. Tu t’assois. L’instant reprend inlassablement. Jaune halogène infini. Jusqu’à la délivrance.